1- Pouvez-vous nous présenter vos activités en quelques mots ?
Je suis professeur à l’ESCP Business school ou j’enseigne le branding, le design et anime des séminaires autour de la culture matérielle et de la consommation. Je suis par ailleurs consultant en stratégie de marque et accompagne des entreprises de tailles diverses et dans de nombreux secteurs sur la question de l’identité de marque et de sa déclinaison sous diverses formes (dont l’identité visuelle, le packaging et l’écriture digitale).
2- Dans le cadre de notre réunion annuelle, vous êtes intervenu pour une présentation dédiée au sujet Le vrac ou le pack ? : le retour de l’Histoire dans une société postconsumériste.
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Quelle est votre vision du Juste Emballage pour demain ?
La notion de juste emballage renvoie pour moi à la justesse et à la justice. La justesse concerne le choix de matériaux et de circuits logistiques qui ont du sens, non pas du point de vue de la perception des consommateurs, mais du point de vue de l’impact de l’emballage tout au long du cycle du produit. Ce qui signifie que cette justesse dépend d’un discours sur la vérité qui soit à la fois objectivable et critérisable au-delà des discours fumeux sur la soutenabilité ou l’impact carbone. A ce titre, les dimensions scientifiques et réglementaires me semblent indispensables pour établir la justesse de l’emballage au-delà des seules émotions démocratiques et du discours social. Le packaging pâtit d’une emphase sur sa dimension de séduction et son impact communicationnel qui sont trop souvent glorifiées aux dépens des notions d’ergonomie, de service ou de fonctionnalité. L’information citoyenne doit prendre le pas sur les représentations, les imaginaires et la doxa marketing. Mais le juste est aussi ce qui est de l’ordre du légal et de ce que l’on estime bon. Je crois en notre possibilité d’inventer des packagings vertueux qui sont bons pour nous et respectueux de l’environnement. Cela veut dire qu’il va falloir accepter de se débarrasser de fioritures, des attributs inutiles et abandonner des pratiques aberrantes qui sont consommatrices de matière et d’énergie (la consigne en dehors d’un périmètre régional, le suremballage des cosmétiques et des dentifrices, etc.) Cela veut aussi dire qu’il faut repenser notre conception anthropologique du packaging. Car après tout le packaging est une interface entre le produit et le client, donc une relation qui est à la fois matérielle, émotionnelle, cognitive et symbolique. C’est l’articulation de ces différentes facettes qu’il faut désormais repenser. Les marketers ont suivent défendu l’idée que dans la plupart des cas nous consommons symboliquement le packaging et non le produit. Il va nous falloir du courage et de la ténacité de déconstruire cette croyance. Le packaging a longtemps été pensé comme un vendeur silencieux ; il nous faut désormais le penser comme un vendeur vertueux.
Le juste se situe entre le légal et le bon. L’idée d’une consommation vertueuse.
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Le vrac, une dynamique de RSE pour les marques ou juste un retour vers le passé ?
Le vrac reste une pratique totalement marginale qui représente moins de 1 % de la consommation totale de biens de grande consommation. Par contre, c’est un thème récurrent du discours social qui renvoie à une logique de déculpabilisation d’un capitalisme saccageur de ressources. Je ne crois nullement à un retour au temps fantasmé du monde d’avant l’apparition du packaging. Pas plus que je ne crois au discours RSE d’entreprises qui ne sont pas capables de l’efficacité ou la vertu de leurs engagements. Il faudrait éviter de surjouer l’effet Tesla avec le vrac. Tout le monde sait parfaitement que le fait de rouler en véhicule électrique ne réduit en aucune façon la question de la transition énergétique. Mais ce discours permet de déculpabiliser des individus à qui personne n’a véritablement le courage de demander de consommer moins. Le poids de la réglementation et de la fiscalité est déterminant pour faire évoluer les pratiques des industriels et des consommateurs, même s’il dépend d’un courage politique dont sont totalement dépourvus nos dirigeants. La soutenabilité n’est qu’un paravent qui permet à chacun de continuer à consommer à un rythme effréné dont on sait qu’il n’est pas soutenable à terme. Comme le dit Jean Marc Jancovici, notre combat pour le climat ne pourra faire l’économie « de sang, de sueur et de larmes ». Seul le courage politique pourra nous aider à consommer différemment. La seule façon de moins polluer c’est de produire moins et mieux. Or je n’ai encore jamais entendu parler d’une entreprise ayant construit son plan stratégique sur une décroissance durable et volontaire de sa production. Le mieux ne peut se décliner que sous la forme du moins, même si l’idée même de décroissance n’arrange évidemment aucun des acteurs du marché. Le vrac ne se développera que sur des marchés où il a véritablement du sens, ce qui ne concerne que quelques catégories de produits aux caractéristiques bien précises. Le tout vrac est une illusion totale car il induit des coûts de transaction trop élevés pour le consommateur et des coûts logistiques prohibitifs pour l’industriel et le distributeur.
3- A votre avis, quels sujets de société en lien avec l’emballage, le CNE pourrait-il documenter en 2022-2023 ?
Permettez-moi tout d’abord de vous dire en toute franchise -la flagornerie n’étant pas mon fort- que je suis littéralement bluffé par la somme d’informations, d’analyse et d’intelligence déployée par le CNE. La connaissance technique et approfondie dont fait preuve cet organisme est vraiment très impressionnante. Moi qui suis toujours en quête d’utile, il me semble avoir trouvé le graal ! Si je devais proposer quelques modestes pistes de recherche ou d’analyses complémentaires, je pointerais l’attention sur les thématiques suivantes :
- La compréhension des imaginaires et des freins psychologiques liés aux différents matériaux. Comment se forment et se déforment les croyances à l’égard des matériaux ? Pourquoi nous méfions nous aujourd’hui du plastique alors qu’il était glorifié dans les années 60 ? etc.
- Une analyse approfondie des biais cognitifs qui affectent nos préférences en termes de matériaux et de packaging
- Des analyses comparées du poids de vrac et des différents matériaux d’emballage dans différents pays et différentes catégories de produits. Peut-on vraiment développer le vrac en dehors de certaines catégories alimentaires ? Quel est le poids de la culture sur l’acceptation du vrac ?
- Des analyses de types trade-off pour mieux comprendre le poids des attributs (matière, forme, design, marque, etc.) dans l’acceptabilité du produit et du prix.
- Une analyse des stratégies fiscales et réglementaires les plus efficaces pour orienter les stratégies emballage des industriels et les choix packaging des consommateurs
- Des analyses prospectives fondées sur le design fiction pour comprendre les possibles dans les univers de l’emballage.
- Quel peut être le rôle de l’école et du marketing scolaire pour éduquer les futurs consommateurs à un emballage plus vertueux ?